Les XVIIème et XVIllème siècles sont jalonnés de guerres avec l'Autriche et les Pays-Bas dans lesquelles les Anglais sont impliqués, ou directement avec l'Angleterre, alors ennemi héréditaire :
- Guerre de la Ligue d'Augsbourg (1689-1697)
- Guerre de Succession d'Espagne (1702-1713
- Guerre de Succession d'Autriche (1744-1748)
- Guerre de Sept Ans (1756-1763)
- Guerre avec l'Angleterre (1778-1781).
En 1694 et 1695, les Anglais avaient débarqué aux îles Chausey. Le début de la guerre de Succession d'Espagne en 1702, aggrave de nouveau la menace sur les côtes normandes. Il est prescrit que les corps de garde soient réparés, mais "la dépense des réparations des corps de garde s'étant trouvé considérables, Sa Majesté a jugé à propos de la faire supporter par les paroisses où ces corps de garde sont situés". Celui de Linverville existait-il à cette époque ? C'est vraisemblable ; d'autres corps de garde existaient sur la côte, celui de Saint-Germain sur Ay par exemple qui date de 1669.
La situation du corps de garde de Linverville au fond d'une cuvette surprend. Bien sûr, les dunes, non fixées à cette époque, ont pu bouger. Une autre explication est fournie par Guy de SAINT-DENIS, à la suite de ses recherches dans les Archives Militaires de Vincennes et dans les Archives Départementales et Nationales : un mémoire de 1734 signale, en effet, qu'"à Liverville, il y avait un corps de garde, situé dans les dunes, que la mer a détruit". La mer aurait donc rongé la côte et le corps de garde aurait chu sur la plage comme on peut le voir de certains blockhaus de la dernière guerre.
Un état d'avril 1744 recommande "à L'Iverville de le rétablir, de le voûter, de l'éloigner du rivage et d'y mettre une guérite". Le projet dut être rapidement mené puisque la date de 1744 figure sur le linteau de la porte (récemment remplacé).
Un document de 1749 atteste la présence "à Liverville (d'un) corps de garde en bon état" que les militaires échaudés par le perte de l'ouvrage précédent, ont sans doute préféré établir en retrait, à "plus de deux portées de fusil" de l'avant dune sur laquelle ils installèrent sans doute la guérite. D'après un atlas de 1775 décrivant les ouvrages défensifs de la côte, "à une lieue du Martinet (d'Agon) est le corps de garde de Linverville, situé dans les dunes dans un fond ; il faut monter sur ces dunes et s'éloigner du corps de garde pour pouvoir voir en mer".
Guy de SAINT-DENIS poursuit en décrivant l'organisation locale de la défense. Le personnel chargé de la défense du littoral relève, au milieu du XVIIIème siècle, de la capitainerie de Créances qui s'étend entre les estuaires de l'Ay et de la Sienne. Cette capitainerie, dite aussi de "Couttenville", réunit 22 paroisses, dont celles de Gouville, Linverville et Montcarville ; en 1756, elle est commandée par le capitaine général de FOLLIGNY et par le major Michel de MONTHUCHON qui, l'année suivante, passe capitaine général assisté du major Louis Charles GUÉRIN d'Agon. Comme les gens de mer servent sur les vaisseaux ou dans les arsenaux du ROI, la "milice garde-côte" se recrute parmi les cultivateurs et artisans qui, âgés de 18 à 60 ans, ont tiré un mauvais numéro ("le billet noir").
Sur quelques 1 600 hommes formant l'effectif de la capitainerie, 400, les plus solides et les plus aptes à porter les armes, sont répartis en 5 "compagnies détachées" de 80 fantassins chacune. Les hommes s'entraînent une fois par mois, le dimanche ou un jour férié, et doivent se tenir prêts à courir sus à l'ennemi qui tenterait une "descente", c'est à dire un débarquement. Au début de la Guerre de Sept ans en 1756, la compagnie de Saint-Malo de la Lande, dont dépend Linverville, a pour capitaine, des ISLES de la BRETONNIÈRE, et celle de Geffosses, dont Gouville et Montcarville font partie, La PALLIÈRE CABARET.
Le gros de la troupe (1 200 miliciens) forme "les compagnies du guet" qui en temps de guerre, sont affectées aux quatre corps de garde de la capitainerie, à Créances, Geffosses, Linverville et au Martinet d'Agon. Dans chacun d'eux, une demi-douzaine d'hommes, portant uniforme, se relevant tous les matins à 10 heures, doivent trouver, selon une instruction de 1756 "une bancelle, un lit de camp, un chandelier, deux râteliers pour les armes avec une cruche, une guérite en bois peinte en rouge". Chaque jour, ils ont droit du 1er octobre au 1er avril à "trois bûches de 18 pouces de circonférence et de trois pieds et demi de long (environ 15cm de diamètre et 1 bon mètre en longueur), à une demi-livre de chandelle", et durant la belle saison, "à un quarteron (quart de livre) de chandelle".
Des ordonnances royales de 1778 et 1780 apportent quelques modifications : les miliciens des forts et batteries sont rebaptisés "canonniers garde-côtes"; l'effectif d'unecompagnie est ramené à 50 soldats dont, pour celle de Saint-Malo-de-la-Lande, 7 sont à fournir par Gouville et 4 par Linverville. Les miliciens du guet prennent le nom de "canonniers postiches" et sont dotés de 4 fusils par corps de garde.
La Révolution apportera d'autres modifications. Si, dans la seconde moitié du XVIIème siècle, la dénomination des gardes-côtes change, leur fonction reste la même : "écarter les corsaires et les empêcher de venir prendre des bestiaux dans le pays" ; "veiller à ce qui se passe en mer et empêcher les petits partis, que les corsaires pourraient mettre à terre, de piller, brûler ou ravager le pays" (1762); "guider les troupes réglées qui marcheraient à l'ennemi débarqué et empêcher le pillage des bâtiments que le mauvais temps fait échouer sur la côte" (1778).
Pendant la Révolution où la guerre avec les Anglais est toujours menaçante, le Corps de garde est en activité. Un document des archives diocésaines indique "l'état des avances faites en 1793 par les communes de Linverville, Gouville, Montcarville et Boisroger pour l'entretien du corps de garde", avec tous les bons de livraison :
Cordes (1 corde=environ 4 stères) de bois, chandelles, passage (transport) du bois, réparation de 30 fusils par GIRARD Frères armuriers, achat d'une capote...depuis le corps de garde va cesser d’exercer son rôle et tomber peu à peu en ruine.Le Conservatoire du Littoral en fera acquisition à la fin du XXème siècle. Il sera désensablé et entretenu.
CABANE VAUBAN